Nous sommes... celles qui vous font oublier qu'un registre paroissial, « en vrai », c'est rarement plus grand que votre écran d'ordinateur. Nos pionniers sont la Mayenne, talonnée de près par la Vendée, il y a déjà 7 ans. Nous sommes attendues comme le messie. Pour nous on sort l'artillerie lourde. Les grands mots, les beaux, les gros. Ceux vidés de leur sens à force d'être utilisés à cor et à cri. Droit. Devoir. Service public. Parfois les grands maux... Dès que nous apparaissons, nous sommes prises d'assaut, contents et mécontents, déçus et surexcités, des quatre coins du monde.

Nous sommes... (dans le titre, certes) : les archives en ligne.

 

Petit retour d'expérience professionnelle et de pratiques personnelles.

 

 

 

1. Que numériser, et pourquoi ?

 

La numérisation permet à la fois de conserver le document et de le communiquer au public, soit deux des missions qui constituent, avec la collecte et le classement, le coeur de métier des archivistes.

La numérisation a de multiples avantages :

  • Des documents fragiles (cadastre et plans, affiches, photographies, manuscrits anciens) jusque-là incommunicables en raison de leur mauvais état, ou peu faciles à consulter, peuvent être de nouveau communicables ;
  • Des documents très demandés (état civil, recensement) – et par conséquent très manipulés, que ce soit par les archivistes qui vont en magasin ou par le public – et qui ne sont pas non plus de toute première jeunesse, peuvent continuer à être communiqués tout en réduisant la manipulation des originaux ;
  • Et nouveauté non négligeable : plusieurs personnes peuvent consulter le même document en même temps et à plusieurs endroits.

Qui dit avantages, dit également contraintes :

 

  • de temps : le travail en amont et en aval du simple scan de document est chronophage et archivore ;
  • d'argent : ça coûte naturellement bien moins cher qu'un bâtiment, mais cela reste un investissement financier, à court terme et à long terme (hébergement, matériel technique, etc.). On ne saurait oublier que les services patrimoniaux font partie des directions culturelles, que les budgets fluctuent et que la culture est rarement bien dotée en période de restriction budgétaire. Et si l'on se bat pour un bâtiment d'archives, des postes à créer et des archives en ligne, il n'est pas exclu d'avoir à choisir...

Le choix de « quoi numériser » est donc notamment régi par ces questions de conservation et de communication. Mais ce n'est pas tout : on ne numérise pas pour numériser. Il y a derrière ces projets de service d'envergure l'élaboration d'une politique culturelle : quel fil rouge guide cette valorisation sur Internet ? Qu'est-ce qu'on valorise, et comment ? Quel public viser ? Comment attirer l'attention sur d'autres fonds d'archives ? Comment faire ressortir l'identité d'un territoire ? Comment impliquer le public ?

Il ne sera dans ce propos pas question de gros sous, mais bien de temps. Le coût d'un projet de numérisation et de mise en ligne contient trop de variables (type de document, volume d'images, type d'hébergement, présence de recherche documentaire dans les instruments de recherche, et, forcément, prestataire). Les propositions des prestataires sont par ailleurs évaluées en fonction d'une pondération des propositions technique / suivi de projet / délai de réalisation / prix, qui fluctue d'un marché à l'autre. La collectivité doit choisir l'offre économiquement la plus avantageuse : le moins cher n'est pas nécessairement le mieux-disant. Pour autant les chiffres ne sont pas secrets, il suffit de consulter les avis d'attribution des marchés – qui, comme leur nom l'indique, sont publics – pour avoir une idée du prix de la proposition retenue.

Mais penchons-nous plutôt sur la partie cachée de l'iceberg, celle qui vous permet de déchiffrer avec excitation sur un écran brillant 1280 x 700 l'acte de baptême de 1753 de votre sosa 151...

 

2. Préparation de la campagne

 

Envisager une campagne de numérisation ne s'improvise pas. Il ne suffit pas de passer un marché, filer des containers de vieux papiers à un prestataire de numérisation qui scanne, stocke sur un serveur et zou, l'heure de l'assaut sur les nouvelles archives en ligne a sonné.

C'est une véritable campagne méticuleusement organisée, avec comme armes principales, les tableaux Excel et la patience. Chaque document (registres, plans, photographies, etc.) est minutieusement analysé et décrit dans de longs et précieux tableaux aux multiples colonnes : cote, titre, commentaire, nom du répertoire de destination, racine du nom de fichier, etc. La colonne « commentaire » n'est pas juste un gadget. Les indications fournies seront très utiles aux opérateurs / trices de numérisation.

Imaginer un registre de recensement. Compter les pages (s'il n'est pas folioté) ou vérifier page à page que les folios se suivent bien. Repérer les pages déchirées. Indiquer que le folio 52 est vierge ; que le folio 84 est mangé dans la reliure. Mentionner la retombe du folio 141 (ces morceaux de papier à rallonge qui se déplient par exemple dans les registres matricules). Multiplier la tâche par le nombre total de registres.

Petit calcul, un département moyen d'environ 300 communes, il y a 26 recensements entre 1831 et 1975, soit 7800 dénombrements, de taille très diverse selon la commune, certes... Mais tout de même !

3. Cahier des charges et publication du marché

 

Les services d'archives (départementales ou communales), aussi bien que les musées ou bibliothèques publiques sont soumis au régime de la commande publique. Tout marché fait donc l'objet d'une procédure juridique encadrée.

La numérisation n'étant pas toute récente, il existe des cahiers des charges plus ou moins types qui circulent entre « vétérans » et « newbies » de la mise en ligne, et sont adaptés aux spécificités du présent marché. Les grandes caractéristiques techniques (résolution d'image, nommage des fichiers, assurances et modalités de transport des documents) sont calées depuis longtemps. Mais il reste toujours des adaptations maison à faire.

 

  • Allotissement ou pas ? Il existe sur le marché plusieurs prestataires de numérisation, certains font de la mise en ligne, mais pas tous. Le choix peut être pris de faire deux lots dans le marché : l'un concernant la numérisation pure et dure, l'autre concernant la mise en ligne des archives, d'autant plus lorsqu'elle s'accompagne de la mise en ligne d'instruments de recherche.
  • L'hébergement : il peut se faire en interne au niveau de la collectivité, auprès du prestataire d'hébergement en cours de marché avec la collectivité (s'il existe, il est souvent obligatoire), ou encore auprès du prestataire de mise en ligne (qui n'est pas forcément le prestataire de numérisation, comme écrit précédemment). Question un peu cruciale, parce que les réseaux informatiques des collectivités sont rarement prévues pour faire face à un assaut d'internautes généalogistes, légèrement gourmands en bande passante... D'après mes souvenirs, pour un service d'archives d'un département de taille moyenne, il faut compter 6 à 700 connexions simultanées à l'ouverture... avant de redescendre à une moyenne de 200, 300...

Une fois le cahier des charges techniques particulières (CCTP pour les intimes) rédigé et les autres pièces obligatoires bouclées, le marché est publié.

 

4. Réponse

 

Les prestataires de numérisation et de mise en ligne d'archives sont à l'affût des nouveaux appels d'offres. De préférence la candidature doit être envoyée avant l'heure fatidique... Une audition des candidats est généralement prévue – lorsqu'elle n'a pas déjà été organisée avec les prestataires connus avant de passer l'appel d'offres – devant un jury composé de responsables du service d'archives (directeur, chef de projet et équipe projet), d'informaticiens de la collectivité (directeur des services informatiques) et souvent de la direction de la communication, charte graphique oblige.

Je passe sur l'examen des candidatures, puis des offres, le passage en commission d'appel d'offres pour attribution, l'information des candidats, etc. Une fois la réunion de lancement fixée avec le prestataire et les documents précautionneusement acheminer, il ne reste plus qu'à passer devant la caméra.

 

5. La numérisation

 

Bienvenue dans l'industrie patrimoniale, en 2 ou 3 x 8, selon les prestataires. Possible que la numérisation de 600 pages d'état civil ou de recensement par jour, ça vous dégoute un généalogiste amateur à la foi pas bien accrochée... Ayant fait de la numérisation pour un musée et une bibliothèque, j'ai gardé la foi (je peux par contre témoigner du fait que Flaubert écrivait très très mal).

L'un de mes ex-collègues de boulot (Digibook)Il existe toute une panoplie de scanners selon les types de documents. Des grands, des petits, des avec caméra sur rail, des avec balances, des « à plat » comme à la maison. Et pour les microfilms, il n'y a qu'à mettre la bobine, et appuyer sur Marche.

Régler la caméra (changeable selon la résolution) en hauteur. Régler la balance des blancs. Bien caler le registre à plat, à 90° par rapport à la caméra. Pour cela toute une armée de barres aimantées de tout calibre, des feuilles canson pour dissimuler la tranche du registre. Lancer le scan (au clavier ou avec une commande pédale). Vérifier la première prise de vue sur l'écran d'ordinateur. Cadrer la zone à enregistrer sur l'écran de contrôle. Et si les réglages sont bons, c'est parti !

 

 

 

6. La vérification

 

Cette étape est très souvent ignorée du grand public : après la numérisation, les images sont données au service patrimonial pour vérification. Travail extrêmement long, à faire dans un temps court, fixé dans le contrat. Les reprises (et il n'y en a toujours) à faire sont listées, retournées au prestataire de numérisation et... revérifiées.

 

7. De la phase de test au jour J

 

Les images sont prêtes, sauvegardées sur des serveurs en miroir. Y a qu'à … faire en sorte de relier moteur de recherche et lots d'images. Les listes d'images Excel passent dans une moulinette de scripts informatiques. Formulaires de recherche – standards pour certains, customisables pour d'autres – et listes de résultats sont paramétrés. Textes de présentation et bulles d'aide à la recherche sont prêts. Le tout est habillé par la charte graphique de la collectivité, histoire de ne pas jurer avec le reste du site Internet.

L'heure a sonné de tester, avant de lancer l'ouverture. Il y a toujours une information à afficher en plus, une police ou un gras à changer, une icône qui ne convient pas, parce que finalement à l'écran ça ne rend pas jamais exactement comme supposé... C'est le jeu.

 

 

D-Day. Annoncé en grande pompe ou téléphone arabe généalogique, il faut espérer que l'afflux réel d'internautes corresponde à celui envisagé. Guetter les premières réactions , même s'il y aura toujours des râleurs. Bannir l'angoisse du temps de chargement. Visualiser les stats Google Analytics avec un oeil satisfait. Et respirer...

 

8. Euh, au fait, ça prend combien de temps ?

 

Tout dépend de ce qu'on considère comme point de départ... Le vote du budget ? Le début de la rédaction du cahier des charges ? La publication ? L'attribution du marché ? Bref, impossible de dire. Théoriquement ça peut prendre 3 mois à partir de l'attribution... D'ailleurs les calendriers prévisionnels qui figurent dans certains marchés sont optimistes. En pratique, il vaut mieux compter au moins six mois, chaque partenaire ne s'occupant pas d'un seul projet. Et les retards, côté public comme côté privé (j'insiste sur le "comme"), sont fréquents et se répercutent en chaîne. Et pour en terminer avec la pratique : ça peut durer plusieurs années. Patience est mère de sûreté...

Les uns trépignent, les autres se réjouissent... Et personnellement, quand je jette un oeil sur ce qui se fait en matière d'archives en ligne chez nos voisins, je trouve qu'on est plutôt très bien lôti.

 

Sources

 

 

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