fichier central cartonsOu gauchistes. Mais c'est pas grave, la police, ça fiche large...
 
Même sans être au courant de l'opinion politique réelle ou supposée de ses ancêtres, il ne faut pas hésiter à jeter un oeil aux riches et foisonnantes archives du ministère de l'Intérieur. On en trouve de nombreux inventaires dans la Salle des inventaires virtuelle, parmi lesquels celui qui concerne le fichier central de la Sûreté, aka "fonds de Moscou" (voir le répertoire méthodique des archives de la Sûreté).
 
 
Pourquoi fonds de Moscou au fait ? Ces dossiers font partie des archives saisies par l'armée d'occupation allemande entre 1940 et 1944, transférées dans les territoires du Reich et... prises par l'Armée rouge en 1945 et transférées encore plus à l'Est. Les archives saisies (ministères de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères notamment) ont été en partie restituées (en partie) à partir de 1994, jusqu'au début des années 2000... soit plus de 50 ans après !
 
Parmi ces fonds se trouve le fichier central de la police, soit 2,5 millions de fiches (non communicable en salle) et 600 000 dossiers nominatifs (communicables), qui concernent en gros, pour la période fin XIXe-1940 (avec une sur-représentation de l'entre-deux-guerres) :
  • des étrangers (titres de séjour, passeports, demandes de naturalisation, voire soupçon d'espionnage) ;
  • des militants politiques (anarchistes, communistes, antimilitaristes, ... d'où mon titre d'article) ;
  • des personnes condamnées avec mesures d'expulsion, d'éloignement ou d'interdiction de séjour ;
  • tout ce qui touche aux jeux : les personnes interdites de jeux comme le personnel des casinos ;
  • des dossiers d'association ;
  • des dossiers sur la presse.
Bref, c'est ainsi que des militants communistes fichés par les Renseignements généraux ont fait le voyage en URSS dont ils rêvaient sans doute ... à leur insu ;-)
Sur les dossiers, notamment sur les chemises catonnées, on peut voir quelques inscriptions en cyrillique.
 
Mais si je vous parle de tout ça, c'est d'une part parce qu'il y a des registres numérisés en ligne qui permettent de vérifier s'il y a un dossier (consultable aux Archives nationales à Pierrefitte), et d'autre part parce que j'y ai trouvé ... Onésime ! Le seul, l'unique !
 

Comment chercher ?

Les registres alphabétiques dressés par les archivistes russes sont numérisés et accessibles depuis l'inventaire en ligne Fichier central de la Sûreté générale : dossiers individuels (fin XIXe - 1940) (versement 20000096). Ils permettent de vérifier l'existence d'un dossier (l'un des 600 000 dossiers nominatifs) et de trouver la cote pour le consulter en salle de lecture aux Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine). Partons à la recherche d'Onésime Le Livec.
 
fichier central inventaire

Il faut déployer l'arborescence alphabétique pour avoir accès aux images du registre numérisé : normalement Onésime Le Livec devrait être dans la tranche alphabétique LEH-LEU.

fichier central registre num 1

A savoir : dans les registres, les noms sont rangés par ordre alphabétique sur les 3 premières lettres uniquement. Les registres ayant été fait par les Russes, il faut souvent jouer avec la prononciation phonétique des noms de famille et jouer sur les orthographes (le V et le W par exemple, c'est kif kif et classé ensemble). D'ailleurs, remarquez les entêtes de colonnes en cyrillique !

Onésime (écrit Anésime) figure à la vue 37. Il faut avouer que des noms de famille commençant par LEL, il n'y en a pas trop, donc la recherche n'a pas été très longue... Il y a bien un dossier le concernant, pour la période 1904-1907. Maintenant il s'agit de trouver la cote pour pouvoir consulter le dossier lui-même.

Les séparations entre les cartons et les cotes ont été transposés sur les registres numérisés. Il faut donc remonter les pages précédentes jusqu'à tomber sur le numéro de boîte. Sur la page précédente, on trouve la délimitation avec l'annotation 184 surmontée d'une ligne dans le bas de la page, numéro de boîte qui est répété en haut de page : 940459 art. 184. A traduire par 19940459/184, qui est bien une cote des AN (onglet de vérification de cote sur le site des Archives nationales).

fichier central registre num 2

En cas de doute, n'hésitez pas à revenir sur la notice à partir de laquelle le lot d'images numérisées a été ouvert : les cotes extrêmes des dossiers sont indiquées dans la description (en rouge ci-dessous).

 

fichier central inventaire 2

 

Et que trouve-t-on dans un dossier ?

Des notes de renseignements, des notices individuelles, de la correspondance, des coupures de presse, il peut même y avoir des photos. Et surtout des surprises et des découvertes : au début du XXe siècle, mon arrière-arrière-grand-père n'était pas du tout communiste, mais... anarchiste ! Le dossier couvre la période 1904-1907 ; il y est principalement question d'un incident que j'avais déjà trouvé (voir Onésime, épisode 2), mais le contexte politique n'était absolument pas évoqué dans les coupures de presse que je connaissais.
 
Extrait d'un rapport du Préfet du Morbihan en date du 13 septembre 1907 (classé au dossier Antimilit. Morbihan)
Le Livec Onésime Paul, né le 17 septembre 1880 à Arzon, d'Onésime et de Marie Josephe Lepine, charpentier à l'arsenal, demt 108 rue de Merville, Lorient.
Fait partie du groupe de la Jeunesse syndicaliste lorientaise 
onesime anarchiste
 
 
 

Notice individuelle établie le 10 septembre 1904

Le nommé Le Livec a servi à la 3e compagnie d'ouvriers d'artillerie coloniale du 17 octobre 1901 au 20 octobre 1902, classe 1899.
C'est un des principaux libertaires lorientais. Assiste à toutes les réunions anarchistes dans lesquelles il fait des discours libertaires, déclame des chansons anarchistes. Le Livec fait partie de la Jeunesse syndicaliste composée des libertaires lorientais. Il fait beaucoup de propagande anarchiste et s'est fait remarquer dans de nombreuses circonstances ; joue des pièces anarchistes en public

Lorient, le 10 septembre 1904
Le Commissaire spécial [des chemins de fer Orléans]

 
Onésime, anarchiste dans les années 1900, c'est du lourd. Je savais bien que les traces que je pourrais encore trouver sur lui, ça serait dans les archives de la police (voir Onésime, épisode 5) ! Onésime l'antimilitariste est mobilisé le 12 août 1914 dans le 1er régiment d'artillerie coloniale. Il est évacué malade le 25 décembre 1914... puis réformé pour laryngite chronique bacillaire. M'étonnerait qu'il se soit tenu à carreau politiquement après guerre ! Il faut continuer à creuser, écartelée entre Morbihan (dossiers concernant le mouvement anarcho-syndical cité notamment), Loire-Atlantique (où il sévit après la Première Guerre mondiale) et enfin la Gironde (où il habite à partir de 1936 au moins)... Affaire à suivre, toujours.
 

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