gallica mortC'est fou combien, aux XIXe et XXe siècles, nos ancêtres semblent mourir paisiblement, le plus souvent dans leur lit. Parfois, il y a bien un décès dans la fleur de l'âge qui nous étonne un peu, mais bon, les conditions de vie, d'hygiène, les épidémies, mis bout à bout... Pour les femmes, la mort des suites de couche est plus "évidente" : il suffit de trouver une naissance un peu avant. Plus rarement encore, la mention dans l'acte de décès d'un lieu inhabituel ou d'un lieu-dit peut piquer notre curiosité. Par exemple Octave Diot, archi parisien, est décédé en 1930 au fin fond de la Dordogne, au lieu-dit Vauclaire, commune de Menesterol-Montignac. Et je doute que ce soit en vacances : en faisant une recherche rapide sur Google, on découvre un hôpital psychiatrique...

Avec un peu (beaucoup) de chance, on peut trouver dans  la presse ancienne des faits divers (accident de charrette, noyade) avec l'identité des défunts... Mais il faut attendre la fin du XIXe siècle pour que les journaux locaux fassent la part belle aux chiens écrasés, et en plus que les dits titres soient numérisés et OCRisés. Bref, quand on tombe sur des anecdotes, ça concerne plus souvent les ancêtres des autres que les siens.

 

La plupart du temps, on n'a que l'état civil, des faits, mais pas de cause. Le certificat du médecin constatant le décès, s'il est obligatoire, ne figure quasiment jamais dans le registre ! c'est presque un miracle que celui de Joseph Guillard (voir l'article Rupture d'anévrisme) soit passé à la postérité grâce à la numérisation.

La plupart du temps, l'acte de décès ressemble plutôt à celui de Claude Descloix (ou Cloix) à Autun en 1852.

Du 29 novembre an 1852 heure de trois du soir. Acte de décès de sieur Claude Cloix, époux de Jeanne Simon, couvreur, demeurant à Autun, département de Saône-et-Loire, né à Saint-Nizier-sur-Arroux, arrondissement d'Autun, âgé de 43 ans, décédé ce jourd'hui, heure de une du soir en son domicile, faubourg d'Arroux de cette ville ...

AD71 deces descloix claude

On ne peut plus classique. Et très neutre. Voire un brin mensonger en fait. Parce que si Claude Desnoix est bien décédé le 29 novembre 1852 à Autun, il n'est absolument pas décédé chez lui, faubourg d'Arroux : il s'est tué en tombant d'un échafaudage construit pour les travaux de restauration de la cathédrale Saint-Lazare, à près de 2km de là...

Et ça, l'acte de décès n'en dit pas un mot.

Potassant les textes réglementaires pour la rédaction du Bon à savoir sur l'acte de décès, je suis restée bloquée sur l'article 85 du Code civil, car dans le même temps, je travaillais (et travaille encore) sur un fonds d'archives qui contient un certain nombre de mort violente (à savoir les dossiers de travaux de cathédrales au XIXe siècle).

 

code civil article 85

Forcément, j'ai voulu creuser un peu, pour savoir jusqu'où allait cette non "mention des circonstances", et ce qu'il en était des ouvriers morts sur les chantiers. J'ai cherché quatre ou cinq noms, à différentes périodes et en différents lieux, en vain, avant de réussir à trouver l'acte de Claude Descloix. Les autres ouvriers étaient-ils domiciliés dans des communes voisines où l'acte de décès aurait été transcrit - puisque visiblement on peut broder un peu sur le lieu exact de décès ?

Si l'acte de décès de l'ouvrier est neutre, on trouve quelques informations sur l'accident dans le dossier de versement d'une allocation à sa veuve (Archives nationales, F/19/7622).

Certificat du maire d'Autun "par suite d'une chute étant employé aux travaux de la cathédrale de cette ville".

Rapport au ministre du 28 décembre 1852 "le nommé Descloix, ouvrier employé aux travaux de restauration de la cathédrale d'Autan, s'est tué en tombant d'un échafaudage très élevé et il laisse sans ressources une femme et deux enfans en bas-âge" [en fait une fille de 15-17 ans et un garçon de 13-14 ans, les âges divergent selon les documents]

Courrier de l'architecte diocésain Louis Dupasquier au ministre le 13 décembre 1852 "le 30 novembre, j'ai connu la mort de l'ouvrier Decloie, tombé le 29 de l'échafaudage servant à la reconstruction de l'un des contreforts de la tour du portail nord de la cathédrale d'Autun. [...] L'échafaudage sur lequel était l'ouvrier Decloie, avec deux de ses camarades, était en parfait état ; ces trois ouvriers attendaient qu'on leur montât la chaine de la grue pour descendre un bloc de pierre provenant de la démolition. On ignore si c'est un étourdissement, ou si cet ouvrier par inadvertance a posé le pied dans le vide, ou enfin, si voulant s'appuyer contre l'un des poteaux de l'échafaudage sans se retourner il l'a manqué. Mais ce qui paraît certain, d'après mes renseignements, c'est que les deux ouvriers travaillant avec lui, ne se sont aperçu de sa chute, que par le bruit qu'il a fait en tombant sur les pièces de bois horizontales existant à un étage au-dessous ; l'entrepreneur lui-même placé au pied de l'échafaudage, et qui présidait à la manoeuvre, n'a été prévenu que par le même bruit. Monsieur Grillet, chirurgien à Autun a visité le corps immédiatement après la chute ; ses soins ont été infructueux, la mort ayant eu lieu instantanément. Les chantiers de la cathédrale ont été fermés le jour et le lendemain de l'événement. J'ai immédiatement donné l'ordre à l'entrepreneur de provoquer une souscription en faveur de la veuve et des enfants, et me suis fait un devoir de m'inscrire sur la liste. L'ouvrier Decloie, âgé de 43 ans, travaillait à la cathédrale depuis 1844."

 

Des actes de décès neutres et ne portant pas trop préjudices, j'en avais déjà croisé :
  • Hélène Jégado, juste "décédée à Rennes" avec des déclarants de luxe : en fait guillotinée
  • Epaminondas Proux, "décédé au lieu dit Moulin des îles" : en fait noyé dans le Cher

Je crois qu'il va falloir rééplucher les morts possiblement suspectes au XIXe siècle...

Liens et sources

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